• Décidément, l'Allemagne n'est pas un modèle – et cela commence à se savoir

    Ecrit le 20 janvier 2013

    L'Allemagne est présentée comme un modèle de réussite. L'accent est mis sur ses bons résultats aux exportations, la faiblesse de son taux de chômage (6,8% de la population active). On peut y ajouter que les caisses d'assurance-maladie y sont excédentaires et que le budget n'est pas loin de l'équilibre.

     Donc si tout va si bien au delà du Rhin et si mal en deça, il faut donc nous mettre à l'école de notre voisin premier de la classe et procéder aux « réformes » qui s'imposent. Il nous faut donc examiner d'un peu plus près ce modèle allemand.

    L'économie allemande a pâti de la réunification, induisant un chômage important, qui en 2005 se montait à cinq millions d'individus.

     La réaction des gouvernements allemands a permis un redressement de son économie, mais en s'attaquant au pouvoir d'achat et aux garanties des salariés. Ce sont eux qui ont globalement payé la facture, certes de manière très inégale selon les secteurs.

     Les bas chiffres du chômage ne doivent pas faire illusion. En 2005, l'Allemagne a introduit de nouveaux critères pour définir le chômage retenu comme tel dans les statistiques : le taux du chômage a commencé à baisser.

     Des mesures législatives -portées par un gouvernement social-démocrate- ont sciemment organisé la précarité et les bas salaires. Le recours au travail temporaire a été très largement déréglementé en 2003, en juxtaposant aux travailleurs permanents de vastes cohortes de travailleurs précaires mal payés, mal considérés, avec très peu de perspective d'accéder à un emploi stable.

     Mais l'arme de guerre la plus décisive contre les travailleurs a été la réforme du chômage (les fameuses lois HARTZ) qui contraignent rapidement le travailleur à accepter n'importe quel travail, à n'importe quel prix. Or en Allemagne, le salaire minimum n'existe pas. Le résultat, en terme de paupérisation des travailleurs, est effrayant.

     Pour compenser le vieillissement de sa population – et entretenir l'armée de réserve des travailleurs en situation de totale dépendance-, l'Allemagne a recours aux travailleurs étrangers. Ainsi l'Allemagne a-t-elle pu passer de l'importation à l'exportation de porcs en 2011, grâce à la main-d'oeuvre immigrée d'Europe centrale et orientale payée 2 € de l'heure.

     Selon les syndicats allemands, ce sont 6,8 millions de salariés qui gagneraient moins de 8,5 € de l'heure. Selon d'autres sources, ce sont 7,4 millions de salariés qui occupent un « mini-job » très peu payé.

     Au-delà de cette frange de travailleurs maintenus dans la misère, c'est l'ensemble du salariat qui est touché. Entre 2000 et 2010, les salaires réels ont baissé de  4%, la régression étant particulièrement importante pour les bas salaires, tandis que les hautes rémunérations parvenaient à peu près à tirer leur épingle du jeu.

     En sus de la prolifération des emplois atypiques (mini-jobs), le nombre de salariés couverts par des conventions collectives de branche ne cesse de se restreindre comme peau de chagrin ; elles concernaient en 1996 70% des travailleurs de l'Ouest et 56% de ceux de l'Est ; ces taux sont actuellement tombés à 54% pour l'Ouest et 37% pour l'Est.

    Encore faut-il relativiser la protection offerte par ces conventions en fonction des branches. Dans le secteur des services, coiffure, hôtellerie, restauration... le niveau des rémunérations garanties ne met pas les travailleurs à l'abri de la pauvreté. Les huit millions de travailleurs à bas salaires que compte l'Allemagne représentent 23% de sa population salariée...

    De surcroit les entreprises allemandes font incorporent largement dans leur production des composants fabriqués à moindre coût par la sous-traitance internationale.

    Par ailleurs les services publics font face à des compressions programmées de personnel qui n'ont rien à envier à celles qui se déroulent en France. Si Le budget de l'Etat est en quasi-équilibre, son endettement,  ainsi que celui des landers et collectivités territoriales sont en revanche particulièrement élevés.

     Dans ces conditions les syndicats peinent à réduire les inégalités, les travailleurs se trouvant dans une position inégale face à leurs employeurs. Les entreprises industrielles ont du mal à recruter la main-d'oeuvre qualifiée qui leur est nécessaire.

    En 2012, les syndicats ont tenté de tirer profit de la croissance retrouvée pour arracher des augmentations de salaires. Appuyés par une mobilisation des salariés lassés des sacrifices, certains secteurs ont obtenu des revalorisations significatives de leur rémunération. Mais ces batailles se déroulent dans une logique de « chacun pour soi », chaque branche s'efforçant de tirer son épingle du jeu sans se sentir réellement concernée par une progression d'ensemble du salariat, «tant il semble admis que les prétentions légitimes des métallos ne peuvent être celle des éducatrices et travailleurs municipaux, et encore moins celles des salariées en mini-jobs.»1 

     Dans la métallurgie, en sus de 4,3% d'augmentation, IG Métal consolide le rapport de force jusqu'à un certain point en limitant la possibilité du recours au précariat : droit à l'embauche en CDI pour les jeunes ayant terminé leur apprentissage, droit de regard des syndicats sur l'embauche des intérimaires -mais sans obtenir le droit de veto, dans la tradition de co-gestion du syndicalisme allemand. Ces mesures sont loin d'être négligeables, mais ne pourront mettre fin à la précarisation du salariat.

    La fonction publique arrache 6,5% sur fond de grèves d'avertissement, mais la rémunération dans le secteur est particulièrement basse, même pour ses travailleurs qualifiés. Le syndicat du secteur, Ver.di, n'a pas réussi à imposer un rattrapage salarial spécifique pour les bas salaires. De plus, de nombreux petits syndicats sectoriels se sont détachés de Ver.di pour faire cavalier seul à partir de leur capacité de blocage dans des secteurs stratégiques. Ainsi les agents de stationnement de l'aéroport de Francfort ont infligé de lourdes pertes à l'aéroport en espérant une revalorisation salariale de 50%. Mais ces tentatives reposant sur la capacité de blocage de petits secteurs professionnels sont fragiles : les employeurs maintiennent le bras de fer, mettent rapidement en place des solutions de remplacement, vont en justice pour faire déclarer l'illégalité des grèves...

    Le plus grave reste que les acquis obtenus dans les secteurs où les syndicats sont puissants n'exercent guère d'effet d'entraînement là où les salariés sont peu (ou pas du tout) protégés par une convention collective. L'organisation faitière du syndicalisme allemand, le DGB, demande la création d'un salaire minimum à 8,50€ l'heure : s'il était appliqué, ce serait 20% des salaires allemands qui seraient revus à la hausse, et un tiers de ceux versés en Allemagne de l'Est.

    A défaut d'une telle mesure pour créer des débouchés en interne, l'économie allemande joue sur sa capacité d'exportation, elle-même reposant sur les bas salaires et le recours à la sous-traitance internationale. Mais le système, lui, n'est ni imitable, ni durable. Déjà la croissance allemande décélère de façon inquiétante : ses exportations subissent le poids de la crise chez ses voisins européens.2 L'Allemagne ne se maintient que grâce à son implantation sur les marchés émergents, et en particulier la Chine. Mais cette dernière fuite en avant n'aura qu'un temps : ses clients actuels ont la capacité de remonter en gamme leur production et vont rapidement devenir de redoutables concurrents. Le modèle allemand n'est pas loin d'être à bout de souffle. Il est de plus en plus contesté à l'intérieur par une frange croissante de ses citoyens qui ne supporte plus les inégalités criantes : les 10% les plus riches se partagent 53% de la richesse privée du pays, et les 50% du bas de l'échelle … 1% !!!3

    Décidément, de part et d'autre du Rhin, il est temps de changer la donne !!!


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :