• La dimension historique du "libéralisme" - 4

    La fin de la "guerre froide", ou le "libéralisme" sans entrave

    La chute du mur de Berlin, en 1989, est un événement-symbole qui représente la fin de la guerre froide, la fin de la bipolarisation de la vie internationale. L'image est forte, symbolique ; elle fait de ce « mur » l'emblème de toutes les oppressions imputées au « communisme ». Ce mur est un repère représentant la matérialisation d'une séparation entre deux systèmes concurrents qui se sont fait face pendant plusieurs décennies ; un mur érigé entre les hommes suivant leur appartenance à l'un ou l'autre de ces blocs. La chute du mur de Berlin, sous la poussée populaire, avec ses images de liesse, de retrouvailles et de fraternisation sur les brèches, est devenue une métaphore de la fin de la guerre froide.

    Cet « arrêt sur image » masque la complexité et la dimension temporelle de la fin de la guerre froide ; il marque, non la fin, mais l'accélération d'un mouvement qui allait déboucher très rapidement sur la réunification de l'Allemagne et sur la chute du « communisme » dans tous les pays de l'Est satellites de l'URSS, puis à la remise en cause de l'URSS elle-même et son système politique et social.

    La domination soviétique avait été contestée dans les pays « satellites », à de nombreuses reprises : dans la Hongrie en 1956 ; la charte 77, initiative des dissidents tchécoslovaques et le printemps de Prague ; la révolte de Solidarnosc en Pologne au début des années 1980... Mais le mouvement décisif vient de l'intérieur du système, de la mise en route de la Glasnost en 1984, qui va aboutir au renoncement officiel au communisme sous l'ère Eltsine. La fin de la guerre froide est l'aboutissement d'un processus convergent issu de racines différentes et qui s'est joué, de longue date, sur de multiples scènes. Le choix de l'évènement « chute du mur de Berlin », pour désigner la fin de ce processus, n'est pas neutre. Il privilégie dans une succession d'évènements un moment très particulier, non dénué de significations. Il met l'accent sur les révoltes populaires -par ailleurs bien réelles- et tend à en faire les seuls acteurs de la chute du communisme ; or le « libéralisme » se présente abusivement la réponse à l'aspiration de liberté des peuples.

    En réalité, les classes dirigeantes ont joué un rôle déterminant dans ce tournant de l'Histoire. Il faudrait s'interroger -peut-être cela a-t-il déjà été fait- sur la concomitance entre les mesures libérales au début des années 1980 et les débuts de la Glasnost dès 1984. Seulement quelques années après que la Chine, suite à la mort de Mao en 1978, se soit convertie au « socialisme de marché », soit une intégration dans le capitalisme mondial d'un système autoritaire. Et le Vietnam inaugure sa politique de « renouveau » dès 1986, c'est à dire une politique d'ouverture économique d'inspiration chinoise.

    La fin de la guerre froide marque un tournant pour le libéralisme. Il est présenté comme la victoire incontestée de « l'économie de marché », du «monde libre» sur le modèle de société que représentaient les régimes se réclamant du communisme. Victoire d'autant plus incontestable que l'affrontement s'est joué sur la dissuasion, sur un équilibre des forces en présence qui a obligé l'adversaire à, en quelque sorte, changer de camp. Cette victoire apparaît bien comme celle d'un système, d'un modèle de société, en compétition avec un autre, et qui aurait réussi à faire la preuve de son efficacité.

    La guerre froide impliquait un certain ordre du monde reposant sur une -relative- bipolarisation du monde, sur une (ou des) concurrences entre modèles de société, c'est-à-dire des idéologies. Cette tension reposait entre des -relatifs- blocs qui se défiaient mutuellement : course aux armements, influence politique, concurrence idéologique. Le camp communiste avait longtemps été celui qui avait porté les espoirs de libération, les espoirs d'utopie, les espoirs d'un monde meilleur, l'espoir des peuples, des classes, à accéder à leur souveraineté. Il offrait une « rente stratégique » aux peuples d'Afrique, qui pouvaient bénéficier des faveurs du camp occidental pour rester ses clients, et toutes les contestations du monde pouvaient s'appuyer, tirer parti de cette concurrence. Le camp occidental devait continuer à prouver aux couches populaires des pays riches qu'elles avaient tout intérêt à faire corps avec le système qui leur assurait un bien meilleur niveau de vie que la pénurie dénoncée dans les pays de l'Est et de la Russie, sans compter les atteintes aux droits de l'Homme et l'absence de libertés politiques.

    La « chute du mur de Berlin » a libéré le capitalisme de cette obligation liée à une situation de concurrence. La «fin de l'histoire» fut proclamée par certains. Désormais le capitalisme, baptisé «libéralisme» affirme qu'il n'a plus rien à prouver à personne, qu'il a définitivement gagné et que le modèle de société qu'il nous propose est la réalité et l'horizon indépassable de l'humanité. Il mène depuis son avancée à marche forcée, sans retenue ni entrave.  


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