• Le capitalisme remodèle l'espace

    Ecrit le 25 novembre 2012

     

    Le capitalisme n'a jamais cessé de remodeler l'espace, mais avec le « libéralisme », une mainmise plus directe, plus totale de l'espace s'est mise en place. Les Etats, quelque soient par ailleurs leur politique de défense des intérêts de leur classe capitaliste nationale, en rivalité pour le leadership des affaires, ont surtout pour fonction d'aménager le monde comme l'arène où le capitalisme va se déployer. Le capital attend des Etats qu'ils assurent la paix et la sécurité nécessaire à la production et aux transactions, qu'il lui garantisse la propriété des moyens de production, une main-d'oeuvre docile, un code du travail et réglementation environnementale complaisante, qu'il privatise tout ce qui peut être rentable et réalise toutes les infrastructures dont il a besoin. Les Etats doivent surtout adopter les mesures légales qui favorisent le nomadisme de la production, un droit des affaires homogène dans tous les pays et la remontée des bénéfices. 

     

    Le capitalisme s'approprie les ressources des territoires et entend qu'on lui mette à disposition tout ce qui est nécessaire à leur exploitation, mais il n'entend pas en assurer directement la gestion ni exercer à leur égard la moindre responsabilité. Pour le capitalisme, les Etats (ou toute forme de puissance publique) sont un « mal nécessaire » pour faire fonctionner le cadre sans lequel il n'existerait pas, assumer les fonctions qui ne l'intéresse pas, constituer le leurre qui dissimule le pouvoir des classes possédantes. Dans le même temps, le capitalisme éprouve à l'égard des Etats la plus profonde méfiance : on n'est jamais à l'abri d'un coup de démocratie, d'une traduction dans les urnes de la révolte populaire, du limogeage du dictateur avec lequel on avait passé de fructueux accords. Les décentralisations, la constitution d'ensemble supra-étatiques sont des stratégies du capital pour corseter l'action possible des Etats. 

     

    Pour le capitalisme, le monde doit être un espace ouvert. Les territoires ne doivent plus être le lieu de politiques fortes. Ils sont mis en concurrence les uns avec les autres et ils n'ont qu'une option possible, celle de séduire et de capter les investissements des acteurs économiques privés qui peuvent poser leurs exigences, sans avoir partie liée avec les collectivités qui les accueillent. 

     

    L'action du capitalisme appauvrit l'espace. La maille élémentaire de l'espace, celle dédiée à une activité, une fonction, s'élargit considérablement ; l'usage de l'espace est spécialisé, au détriment des maillages traditionnels d'habitats, d'activités économiques, d'espaces libres et ouverts. Les « décideurs » qui s'approprient les territoires se concentrent et s'en éloignent de plus en plus. L'uniformité des biens produits et consommés se répand au détriment des identités locales. La nécessité d'économies d'échelle, celle de taille optimale de marchés conduit à cette homogénéisation. L'administration des territoires s'adapte à cette gestion élargie de l'espace : la Région supplante le département, le préfet de Région a les pleins pouvoirs face aux préfets « ordinaires » surtout chargés de l'expédition des affaires courantes, des inaugurations et du maintien de l'ordre. 

     

    Mais le capitalisme fragmente aussi l'espace. Les inégalités de développement sont nécessaires à son bon fonctionnement. Il lui faut trouver dans le monde des marchés où absorber sa production, des lieux où produire à moindre coût, d'autres où sécuriser ses approvisionnements en matières premières, tout en partageant le moins possible avec les locaux. Le monde se redessine en grandes aires en fonction de la division internationale du travail. La production d'un même bien est éclaté en différents territoires, accroissant la dépendance des territoires à ceux qui maitrisent ces filières économiques. Egalement, les inégalités économiques et sociales s'approfondissent dans chacune de ces aires, entraînant des disparités territoriales. La désertification des territoires n'a en soi pour le capitalisme aucune importance. Les « décideurs » se regroupent dans des pôles, des villes mondialisées où se concentrent l'essentiel des pouvoirs et d'où partent les ordres qui restructurent en permanence le monde. En dessous, les classes moyennes qui trouvent leur place dans l'ordre social et qui peuvent choisir leur espace, celui qui leur donnent accès aux services et aux ressources qui leur permettent de maintenir et de transmettre cette place à leurs enfants. À l'autre extrémité de l'échelle sociale, les citoyens n'ont plus guère le choix de leur espace, ils leur restent les territoires de la relégation d'où ils seront encore plus éloignés des zones d'emploi, des possibilités d'éducation. La décentralisation induit une rupture de la cohésion sociale : les zones riches bénéficient des impôts des riches et vice versa ; les inégalités sociales se trouvent ainsi redoublées par la résidence, qui contribue ainsi à figer les destins sociaux. Les espaces se hiérarchisent, rendent visible cette ségrégation sociale et d'une certaine manière officialisent son maintien et sa reproduction.

     

    Le capitalisme impacte tout l'espace, de manière directe et indirecte ; il y maintient la violence des inégalités, il y conduit la destruction des tissus économiques et sociaux et des identités locales. Mais cette violence est-elle toujours reconnue pour telle ?

     


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