• Le libéralisme et sa morale

    Accompagnant le libéralisme dans ses aspects politique, économique et financier, nous avons assisté au fil du temps à l'émergence d'une nouvelle morale, qui lui est si complémentaire qu'on peut la considérer comme un autre volet de la même offensive de classe.

    Cette morale qui s'est imposée au fil du temps peut être lue en filigrane dans le discours des médias, dans celui des politiques, dans l'évolution de la législation, de plus en plus répressive, dans la multiplication des prescriptions en tout genre qui viennent parasiter notre quotidien sous les prétextes les plus divers...

    La principale caractéristique de cette morale est de ne prendre en compte que l'individu et de le rendre seul responsable de son destin. Elle bannit l'éthique et lui substitue un code rudimentaire de normes de comportement. Elle ne promeut pas de valeurs positives, elle se contente de jalonner la vie individuelle et collective d'un certain nombre d'obligations et d'interdits (et d'ailleurs, plus on est pauvre, plus on a d'obligations). Face à cette morale, on n'a le choix qu'entre la soumission ou la déviance. Cette morale est associée à une surveillance électronique quasi-permanente -radars, caméras de vidéo-surveillance, mesure de la productivité sur les lieux de travail- et à une justice quasi immanente -comparution immédiate, traitements automatisés des infractions...-. Cette morale, qui ne connait que la règle, l'infraction à la règle et sa sanction, isole en fait les individus les uns par rapport aux autres plus qu'elle ne les relie. L'application stricte de la loi ne permet pas une réelle prise en compte de l'autre, ce qui implique une réflexion, une évaluation en fonction de chaque situation. Une véritable éthique s'appuie sur des règles et des repères mais elle ne s'y arrête pas. L'établissement des liens sociaux suppose certes que soient définis sans ambiguïté un certains nombre de limites entre le licite et l'illicite. Mais il doit aussi laisser un espace où les individus, en référence à un certain nombre de valeurs partagées, réinterprètent en permanence, en fonction des circonstances, les codes de conduites qui permettent la vie collective. L'insistance actuelle sur le permis et l'interdit (et surtout sur l'interdit) occulte cet au-delà du droit où s'inventent les relations humaines, dans l'expression et le traitement des conflits, dans la reconnaissance des altérités, dans la construction des solidarités... Les discours officiels et médiatiques nous renvoient au contraire à une conception très appauvrie de la morale, inhumaine et quelque peu terroriste, comme si le citoyen n'existait plus au-delà de ses devoirs.

     Cette morale qui ne connaît que l'injonction faite aux individus de plier à ce qui est attendu d'eux, sans réfléchir, est tout à fait en conformité avec les attentes du libéralisme. Au coeur de l'idéologie libérale -dont l'intériorisation est nécessaire à la survie du système- il y a l'affirmation « il n'y a pas d'alternative ». Cette offensive idéologique vise avant tout à dissimuler (ce qu'elle réussit plutôt bien, d'ailleurs) que la régression que nous vivons actuellement (et celle qu'on nous promet) est le produit de décisions politiques parfaitement identifiables (en matière de fiscalité, de politique monétaire, de réglementation des activités des entreprises, des banques...la liste est longue) dont la finalité est d'organiser méthodiquement l'exploitation des travailleurs. Au coeur du discours libéral il y a une formidable injonction de se soumettre à un ordre du monde présenté comme inéluctable, fondé sur de prétendues « lois économiques», quasiment naturelles, qui placent la maximisation du profit et l'intérêt privé de quelques uns, comme le primat absolu de toute construction sociale et la base du principe de réalité -principe qui donne l'aplomb nécessaire à nos dirigeants pour nous faire la morale, nous culpabiliser, nous amener à la résignation et à avaler toutes les couleuvres. Ce discours nous infantilise, nous menace : toute révolte serait vaine et contre-productive. Comment ne pas faire le rapprochement avec le développement parallèle d'une morale individuelle qui ne prêche que la soumission aux normes ? 

     


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