• Libéralisme et lien social

    On ne peut réfléchir à une sortie du libéralisme sans avoir une réflexion sur le lien social.

    Le libéralisme a placé au coeur de son idéologie et de son fonctionnement la concurrence et la compétition. Les dominants l'imposent à ceux qu'ils asujettissent ; la mise en concurrence des travailleurs, des territoires est l'arme principale par lequelle ils assurent leur pouvoir et dictent leur loi aux pouvoirs politiques, au nom de la fameuse « compétitivité ».

    La concurrence « libre et non faussée » est placée au sommet de la hiérarchie des priorités ; le respect de ce principe prime sur tout autre considération. Certes, dans les faits, l'application de ce principe est à géométrie variable ; la liberté est pour les plus forts, et ce sont eux qui décident au nom de quoi cette concurrence serait « faussée ». Dans les faits, ce sont les salaires, le statut du travail, les systèmes de protection sociale, la fiscalité, les normes environnementales...qui sont mises en concurrence les unes avec les autres, non sur la base de leur efficacité par rapport à leurs finalité propre -ce qui conduirait à leur accorder de justes moyens- mais en fonction du moindre coût pour le capital, et donc de la plus grande exploitation.

    Les marchés régulent, en théorie, les échanges et la complémentarité entre les hommes, mais ils sont aussi l'instance où s'affrontent des intérêts contradictoires et où chacun tente de maximiser son profit au détriment de l'autre. En ce sens ils peuvent participer de la régulation sociale, dans la mesure où ils permettent l'expression de la violence à l'oeuvre dans toute relation humaine, pour la surmonter à travers la conclusion d'accords basés sur les bénéfices mutuels que chacun tire de la transaction. Pour jouer ce rôle, le marché est donc essentiellement la somme d'un certain nombre d'institutions, de règles et de normes qui ont vocation à contraindre l'expression des intérêts opposés pour qu'ils puissent s'inscrire dans un fonctionnement social. C'est dire que le marché, pour être socialement efficace, ne peut se réduire à l'affrontement de ces intérêts divergents mais que l'ensemble des règles et institutions qui le constitue doit provenir de l'ensemble de la société, qui en fonction de ses valeurs, de ses conceptions de l'équité, de l'égalité, de son sens des équilibres à respecter, définit et fait respecter ces règles. 

    Mais l'idéologie libérale, qui s'est constituée depuis plusieurs siècles, a prétendu « libérer » le marché de ces entraves, pour le réduire à cet affrontement des intérêts censés être naturellement complémentaires. Elle est parvenu à extraire le marché de l'ensemble du contrôle du corps social, et en fait de « main invisible » il n'est plus resté que la loi des plus forts qui édictent pour les autres des règles dont ils se dispensent pour eux-mêmes. De fait, sous l'idéologie du marché, c'est cette loi du plus fort qui est désormais posée comme norme.

    Tout a été, ou presque transformé en marchandise, et le, ou les, « marchés », ont été, à tous niveaux, posés en arbitre suprême de la valeur de toute chose. Les modestes agriculteurs de l'Ile de Ré doivent s'acquitter de l'ISF simplement parce que des riches ont eu le caprice d'installer leurs résidences secondaires à côté de leurs champs et qu'ils ont fait monter le prix des terrains, sans que leur revenu n'ait pour autant augmenté. Sont-ils coupables de ne pas vendre leurs terres et de ne pas déguerpir pour aller on ne sait où et pour vivre dont on ne sait quoi ?

    Le travail humain n'est plus qu'une simple marchandise dont le libéralisme conteste une à une toutes les protections, et dont on voit mal jusqu'où peut aller la spirale du « moins disant » dans le contrat léonin qu'est la vente de la force de travail, que rien ne viendrait plus réguler puisque c'est la dérégulation qui est devenue la règle. Chacun est ainsi enfermé dans une situation objective de concurrence avec autrui, qui tend à devenir de plus en plus permanente, obsédante, au fur et à mesure qu'on efface les règles sociales. 

    Moyen d'assujetissement des dominés, la compétition est l'âme du « libéralisme » et la concurrence entre capitalistes induit un processus de concentration du capital qui n'a pas de réelle justification économique :  « Dans l’univers des industries mondialisées où l’éventualité de l’absorption est une menace permanente, il n’existe qu’un moyen de sortir de la catégorie de proies pour rentrer progressivement dans celle des prédateurs : grossir en capitalisation. Grossir est donc parfois le ressort principal d’une opération de fusion, acquisition qui ne correspond plus alors qu’à une forme dégradée de rationalité industrielle et financière, réduite à la conservation du contrôle capitalistique. »(1) Pour mener cette guerre, les capitalistes n'hésitent ni à massacrer la nature ni à broyer les travailleurs, devenus sans le savoir les fantassins d'une guerre qui n'est pas la leur.

    On ne peut pas penser sérieusement la crise actuelle, et les moyens d'en sortir, sans en passer par une réflexion sur le lien social, c'est-à-dire sur ce qui fonde la relation des hommes les uns par rapport aux autres, et, au final, sur la relation que l'homme entretient avec sa propre humanité.

     

    (1) Odile CASTEL : Le règne des titans de l’industrie :Le processus mondial de concentration du capital


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :